mardi 9 mars 2010

]Claque du jour] _ Madame Plaza de Bouchra Ouizguen


Quatre corps de femmes, trois divans et le silence ... Tel débute ce spectacle dont je n'attendais rien, sans idée préconçue; ce titre énigmatique ne dévoilant rien de ce qui allait nous être donné.

Mouvements lents, très lents des membres qui s'allongent, se déroulent, se déplacent sans but apparent, mus par l'extrême lassitude du soir qui s'est installé subitement sur l'espace scénique. Les gestes sont décomplexés, ce sont ces gestes d'abandon qu'on fait sans réfléchir lorsqu'on est entre soi.
Les corps façonnés par l'existence s'imposent tout de suite à vous, violemment, tant ils sont ancrés dans le présent, dans la chair, dans la vie même. Le décalage entre la vision inhabituelle (car habituellement niée dans les sociétés occidentales) de ces corps imparfaits et la gestuelle qu'ils empruntent est saisissant voire déroutant. Ils dansent un langage contemporain, abstrait, actuel qui nous prend à contre-pieds et semble contredire l'autre histoire qu'ils nous racontent, une histoire de femmes mûres, habituées à lutter pour exister et qui n'ont pas peur de s'abîmer dans ce long combat. Où souhaite-t-on nous emmener ?

La mélodie jaillit enfin, enveloppant les danseuses dans une plainte lancinante qui semble les habiter depuis longtemps. La couleur de cette musique est celle de leur culture, marocaine ; elles la connaissent.
Les mouvements s'individualisent, se font plus personnels, à mesure que chaque danseuse s'exprime dans l'espace confiné de ce gynécée. Solos, duos. On commence peu à peu à les connaître, à entendre l'histoire qu'elles se racontent, qu'elles nous racontent, à entrevoir le caractère de chacune. Elles sont libres et leurs gestes (aléatoires) de défoulement crient cette liberté.

Le calme revient peu à peu. Elles se roulent et s'enroulent, s'emmêlent au sol dans une lourde pénombre lorsque le cri libérateur jaillit, comme une étincelle, avec une force qui électrise. Incantations puissantes, rageuses, énergiques, loin de la douce complainte précédente. Ces femmes ne s'en laissent pas compter. Elles sont dérangeantes, elles bousculent l'ordre établi. Elles sont fortes et n'ont pas peur.

Duo de deux danseuses sur un air japonais. Sommes-nous transportés au Japon au temps des gueishas, ces femmes libres et séduisantes ? L'une des danseuses s'est transformée en homme. Cette présence  intrusive semble introduire la contrainte chez les deux autres femmes. Se cachent-elles ? Observent-elles ? Les rapports changent. La danse se fait séduction. Mais l'humour de la danseuse femme introduit une distance salvatrice et montre, semble-t-il, qu'elle n'est pas dupe de ce jeu qui l'emprisonne dans son rapport à l'homme.

Ces quatres danseuses nous ont pris par la main et nous ont emmené un instant sur le chemin de leurs vies... Nous nous sommes laissés entrainés sans même nous en rendre compte.

Objectif atteint.

 source photo : site du Centre pompidou

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire